Critique Taxi Driver

  Taxi Driver


        Taxi Driver est, a juste titre, un des films majeurs, et peut être le plus intéressant, du début des « Movie Brat » (Gamins du cinéma, composé de Spielberg, Scorsese, Coppola, De Palma…) dans les années 70, mouvement influencé par la nouvelle vague des films anti-conformistes (Par exemple Le voyeur Powell & Pressburger ainsi que la nouvelle vague) et faisant hommage à toute forme de cinéma.
        Travis Bickle est un homme solitaire, qui, n’arrivant pas à dormir, décide de devenir un chauffeur de taxi dans les quartiers les plus mal famés de New York. "Je conduirai n’importe quand, n'importe où", déclare-t-il en effet lors de son entretien d’embauche dans un sombre lieu délabré.
Iris, la prositutée que Travis veut transformer en dame
L'affiche du film, isolant Travis.
Dégoûté par ce qu’il voit quotidiennement, Travis attend avec impatience une justice, sous la forme d’une “pluie qui nettoiera toute cette racaille ”.  Il a une relation platonique avec Betsy, une femme beaucoup plus distinguée que lui, intrigué par son comportement, mais cette relation cesse lorsque Travis emmène Betsy voir un film pornographique. Furieux d’être rejeté, Travis se prépare, déterminé à faire quelque chose de sa vie, quelque chose de drastique. 
Taxi Driver fut le premier film à montrer les vraies séquelles de la guerre du Viêt Nam, et l’aliénation que les soldats subirent au retour de celle-ci. En dehors de la société qui nuit à la création d'amitié (voir la discussion que Travis tente d'entamer avec l'ouvreuse du cinéma pornographique), Travis cherche à se raccrocher, à oublier les horreurs dont il fut le témoin. Martin Scorsese avait déjà auparavant fait un court-métrage sur le Viêt Nam, intitulé « The Big Shave », montrant l’auto-mutilation du pays dans un bourbier insoutenable. Il l’approfondit ici, et Travis, l’anti-héros solitaire, et l’exemple de la génération gâchée.
Deux figures féminines diamétralement opposées marquent Taxi Driver: Betsy, la femme fatale que Travis isole des autres, dans une séquence au ralentit marqué par une forte différenciation par la lumière, procédé réemployé quelques scènes après sur Travis lui même, et Iris, la prostituée que Travis découvre dans une atmosphère différente: la nuit, monde décrit par un monologue intérieur tendu. Des critiques ont rapprochés l'importance de Betsy à celle de Rosebud dans Citizen Kane (Notamment par la transition entre un texte écrit et leurs apparitions, en fondue): C'est l'influence positive sur la vie de Travis. Pour elle, il tente de faire des efforts. Betsy est vue en marge des autres par Travis, c'est à dire un outsider, quelqu'un comme lui. Ce qui pousse cependant Betsy à cotoyer Travis, c'est son aura étrange: L'extra-ordinaire qui la fascine. Fascination qui se transforme en dégoût lorsqu'elle découvre son mode de vie opposée au sien. C'est une femme cultivée (comme le montre ses emploies de citations), que Travis tente de souiller. A l'inverse, Iris est un personnage souillée que Travis tente d'élever. Les deux femmes sont opposées aussi par la structure de leurs apparitions: La première vue d'Iris est dans le taxi, ce qui représente la dernière apparition de Betsy. Deux scènes semblables: le restaurant. Travis tente de coucher avec Betsy et se fait repousser: C'est l'inverse dans la visite de Travis au bordel. Iris donne aussi à Travis une raison d'exister, mais c'est une influence néfaste, qui le pousse à tuer et se mutiler: une préparation minutieuse qui lui enlève toute humanité.
Taxi Driver est, finalement, le film des exclus, représentés par le trio principal. Travis, bien sur, tout comme Iris, est un personnage en marge, qui surprend et qui choque, comme le prouve la discussion avec Palantine dans le taxi. Betsy est vue par Travis comme une personne à part: "Ils ne peuvent pas la toucher". C'est précisément ce qui l'attire. Le tragique réside dans la dénonciation de l'aliénation des individus par la société, et les conséquences qui en suivent.
Taxi Driver est dur à voir, car le film est une description violente, et profondément réaliste, des vrais effets de la guerre. Pas de beauté, de loyauté dans la bataille, juste un enfer qui ne quitte jamais les personnages. La dernière partie peut se voir de deux manières, mais dans les deux cas, elle montre que Travis n’est pas guéri, et que son envie d’appartenance au groupe est impossible. La coupe de cheveu que Travis prend peut aussi s’interpréter de deux façons ; Travis se préparant a la guerre contre cette « racaille », ou Travis dans un ultime effort d’être « hype ».  
Betsy, figure ambigüe de Taxi Driver: un personnage extraordinaire ou banal? 
La réalisation de Taxi Driver est particulièrement astucieuse : elle poursuit Travis, décrit son regard dès  la scène d’introduction, fait ressentir son malaise. Les séquences de nuit furent filmées avec lumière naturelle, augmentant le réalisme noir du film. Il est aussi intéressant de noter que le script fut écrit en quelques jours par Paul Schrader, qui retransmit sur papier son malaise de l’époque (Travis et lui ayant beaucoup de points communs). La bande son de Bernard Herrmann (compositeur pour Orson Welles et Hitchcock) est le sentiment de Travis mis en musique, reprenant sa dureté et son dégoût.

Notes :

Réalisation : 19/20
Regardant vers le passé, on se demande toujours comment Taxi Driver n’a pas été nominé à l’oscar du meilleur réalisateur. La mise en scène est particulièrement soignée, toutes les prises de vue exprimant les pensées de Travis, anti-héros instable, fort bien réussies.

Scenario : 18/20
Le premier à montrer le malaise et les séquelles de la guerre du Viêt Nam, le scénario de Taxi Driver est un précieux document sur les années 70', s'intéressant à des phénomènes aussi divers que le rejet et le l'attirance humaine pour les armes à feu.

Jeu des acteurs : 20/20
Une performance impeccable de l'ensemble des acteurs. Pas de fausse note dans des rôles complexes mettant en place des personnages multi dimensionnels et ambigus.

Musique : 18/20
La dernière bande son de Herrmann (à qui le film est dédié), transmettant et soulignant les émotions. Dès le début, la musique déclare l'aura du film, et ne peut lui être détaché. 

Cinématographie : 15/20
Retransmettant l’aura macabre de New York, on se souviendra surtout de la scène « Thank God for the rain. » La photographie est très bonne, mais, cependant il est difficile de déterminer l'importance du directeur de la photographie sur un film aussi préparé que Taxi Driver, possédant un storyboard complet et travaillé. Si la cinématographie désignait l'aspect général du film, avec le choix des prises de vue, la note serait probablement plus élevée.
Montage : 14/20
Rien de transcendant, le montage reste bon pendant le film. Une très bonne idée cependant pour le fondu enchaîné pendant la même prise (repris de Shane?). On retrouvera  ce fondu dans After Hours, autre film de Scorsese, monté par Thelma Schoonmaker). Il est difficile de donner une note au montage sur un film tel que Taxi Driver, qui est constitué plus de longues prises directement préparées et planifiées que d'inserts, sauf pour le premier monologue intérieur de Travis et la scène de tuerie, où le montage est efficace et direct.

Appréciation général : 19/20
Violent, dur à voir, Taxi Driver reste un film marquant dont le temps n’efface pas le message, et qui garde encore une partie de son actualité. En effet, la société actuelle garde la structure de celle des années 70, et l'exclusion reste un facteur de dérèglement. Travis est un personnage universel, porté en chacun de nous, dans notre partie la plus sombre.